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Billet d'humeur - Fermeture des commerces et produits essentiels : Et si nous changions de référentiel ?

Il y a 3 années, 5 mois

Le Gouvernement a publié hier une mise à jour du décret concernant la liste des produits qu’il juge « essentiels », précieux sésame permettant à certains commerces de rester ouverts pendant que les autres ferment. Depuis le confinement et les mesures toujours plus restrictives qui ont suivi, déclenchant polémiques sur polémiques, nos dirigeants semblent totalement à côté de la plaque sur ce sujet. Et si, tout simplement, leurs mesures ne se fondaient pas sur la bonne hypothèse de départ ?

Par Nelson Burton, directeur de la rédaction et président d'Au Coeur des Villes.

Déjà, je suis heureux et soulagé pour la profession que les produits de papeterie et bureautique restent dans la 1re catégorie. En même temps, avec l’école qui continue et un télétravail devenu omniprésent… comment pouvait-il en être autrement ? 

Je suis également enchanté de savoir que le Gouvernement considère qu’acheter du caviar ou de l’huile de truffe est jugé comme « essentiel » (ce sont des denrées alimentaires), alors que remplacer un manuel scolaire abîmé ou acheter un livre au programme d’un lycéen ne l’est pas. Ou qu’on doit pouvoir changer son ordinateur sans problème… car si c’est votre machine à laver qui est cassée, tant pis pour vous, retour au lavoir !

Je vous avoue également avoir été ravi d’avoir vu circuler sur les réseaux sociaux des photos d’établissements de grande distribution urbaine proposant des places assises dans leur espace « snacking » ce week-end, alors que la restauration meurt à grands pas (je n’ai pas pu vérifier l’authenticité de ces clichés, j’espère que ce sont des fakes). 

Cette surenchère de fermetures, qui a quand même abouti à l’interdiction de vendre des livres au pays de Voltaire, au nom de l’équité de la concurrence est tout bonnement hallucinante. Il est d’ailleurs assez cocasse de voir que le Gouvernement n’est pas le seul responsable dans cette histoire, le Syndicat de la librairie française s’étant lui-même opposé en mars au fait de rester ouvert. J’imagine (ou plutôt j’espère) qu’ils ont revu leur position pour ce reconfinement. 

Il est encore plus incroyable de constater que l’ensemble des mesures évoquées ne concerne que le commerce physique. Rien pour le e-commerce, hormis le fait de demander poliment à Monsieur Bezos de limiter ses promos pré-black friday. Celui-ci, dont l’entreprise et la fortune personnelle ont déja largement tiré parti de la crise actuelle, a exécuté gentiment les doléances de Madame Pannier-Runnacher. Pourquoi aller contre un Gouvernement qui vous donne les clés de la maison ? 

Fermer le e-commerce est impossible, me direz-vous ?

Et vous avez sûrement raison. Je vous prie de croire que je ne suis absolument pas contre le business on line. C’est une composante essentielle aujourd’hui, et sûrement encore plus demain. Il faut être présent partout où le consommateur se trouve. Le Gouvernement voit même dans le commerce digital la solution magique pour aider les commerçants à s’en sortir face au confinement. Le Président Macron a d’ailleurs évoqué la mise en place d’une aide sur le sujet dans son dernier discours.  Même si monter une boutique en ligne ou entrer sur une marketplace n’est pas la chose la plus compliquée en 2020… Encore faut-il pouvoir le faire en quelques jours. Et puis, quid du référencement ? J’imagine bien la petite boutique de jouets du centre-ville venir se battre avec les pure-players sur l’achat de mots-clés ou le SEO sur Google ou Amazon. La concurrence y est féroce et il est difficile d’y émerger. 
Et surtout, encore faut-il pouvoir matcher avec les attentes du consommateur on line qui recherche avant tout le prix et une gamme large… soit l’inverse de ce que peut offrir une boutique de centre-ville. Sauf si, par magie, elle pouvait en plus mettre en place une solution de dropship avec ses principaux fournisseurs 😛🤪. 

 Extrait du livre Blanc PNP sur le e-commerce (Données GFK)

Voilà pour le court terme : dépenser de l’énergie et de l’argent pour une stratégie qui, à de rares exceptions, ne peut fonctionner que sur un temps long dans un contexte hyper concurrentiel. 

Parlons un peu long terme. Que vont devenir les fonds de commerce ? 

En modifiant structurellement les règles de concurrence au profit du commerce digital, qui devient la seule alternative pour satisfaire l’offre et la demande, il devient légitime de s’interroger sur l’évolution future de la valorisation des fonds de commerce. Ils sont très souvent le principal investissement réalisé par un commerçant à son installation, et son « assurance retraite » ou sa capacité de réinvestissement au moment où il décide de vendre son affaire. C’est à la fois le fruit de ses dures années de labeur, et la carotte qu’il entrevoit pour sa sortie. 
En défavorisant le commerce physique, il y a fort à parier que les valeurs de fonds vont chuter à moyen terme. Selon le vieil adage du commerçant : il est plus facile de perdre des clients que de les retrouver, a fortiori quand on les oblige à modifier leurs habitudes de consommation sur une durée non négligeable.
Dès lors, comment garder l’envie de se battre pour un investissement que l’on ne reverra peut-être plus jamais ? Verra-t-on un jour des associations de commerçants attaquer l’État en demandant un dédommagement pour perte de chance basé sur la perte de valeur de fonds ? 

Je n’en sais rien. Mais les choses paraissent mal engagées pour le maintien de leur valorisation. 

Désolé, je digresse. Revenons à nos produits essentiels. 

Ce système ne pourra jamais être fonctionnel. Tout simplement parce qu’il est totalement subjectif et arbitraire de définir ce qui est essentiel. À moins de passer aux tickets de rationnement avec 3 kg de patates et un tube de dentifrice par ménage.
Par ailleurs, c’est très difficilement applicable au niveau opérationnel, particulièrement pour tout un ensemble de commerces multicatégories… de l’hypermarché au commerce de petit centre-ville ou de village qui dépanne un peu de tout sans pour autant être classé comme une supérette ou un magasin d’alimentation générale (qui bénéficient d’une exception dans le décret d’hier). Je pense notamment au fameux bar/tabac/presse/pain/poste/librairie de village, où, même à des chaînes comme Action ou Hema. Comment organiser les rayons ? Que faire du stock actuel et à venir ?

Le Gouvernement essaye donc de rétablir de l’équité concurrentielle en créant un référentiel subjectif, difficile à rendre opérationnel et qui ne prend en compte que la moitié de l’équation. Chapeau bas. 

Si le référentiel défini n’est pas applicable, autant donc le changer ?

A priori, le virus ne contamine pas plus dans une librairie que dans une boucherie. Le fond du problème n’est pas la catégorie de produits vendus, mais la gestion des flux, qui doit être croisée avec le maintien de l’économie prôné par le Gouvernement... et donc du commerce, sous toutes ses formes. Autant donc mettre en place un système permettant de gérer les flux ? 

Je ne suis pas épidémiologiste, mais je vais partir d’un raisonnement croisant tout ce que je lis, notamment ce cher protocole sanitaire applicable en entreprise. Il semblerait que les risques de contaminations soient particulièrement accrus quand : 
> l’environnement est clos,
> les gestes barrières sont difficiles ou impossibles à respecter,
> les personnes sont nombreuses,
> la durée de présence statique est prolongée (le fameux critère des 15 minutes). 

 

Organisons donc les choses en conséquence. Allez, je me lance sur la base d’un principe simple et unique. En phase de confinement, tous les commerces ont le droit d'ouvrir à partir du moment où la consommation se fait sous forme de flux et de mouvements, au lieu d’être statique. 

Quelques cas pratiques applicables aux phases de confinement :
> Même si ça me crève le cœur, la restauration se limite pour le moment à la VAE et à la livraison. Pour la simple et bonne raison que l’on n’a pas encore trouvé le moyen de manger avec un masque… (ce serait triste d’ailleurs).  
> Les coiffeurs et salons de beauté sont fermés. 
> À la banque, on peut effectuer un dépôt ou un retrait rapide, mais pas de rendez-vous physiques avec son conseiller. 
> Dans un magasin de vêtements, on peut acheter, mais on ne peut pas essayer en cabine. 
> Chez un fleuriste, on choisit son bouquet, on paye, et si nécessaire, on attend dehors que le commerçant réalise la composition. 
> Chez un libraire, on demande ce qu’on est venu chercher, et on repart avec. 

Comptons par-dessus cela sur quelques règles de limitation de jauge, de gestes barrières et sur un maximum de pédagogie de la part des commerçants (ce qu’ils font déjà) pour les expliquer. Comptons aussi sur la bienveillance et le sérieux des consommateurs au lieu de tout interdire et de nous traiter comme des petits enfants irrespectueux. 

Je pense sincèrement que la majorité des personnes a aujourd’hui intégré que nous devons tous faire des efforts pour limiter la propagation du virus. Et ceux qui ne respectent pas les choses : amende et/ou fermeture pour les commerces. 

Et peut-être, même si c’est sûrement un doux rêve, trouverons-nous une solution plus sereinement applicable et équitable pour toutes les composantes du commerce ? Et peut-être, un commerçant de quartier pourra continuer à faire valoir ses atouts face à Amazon, et inversement d’ailleurs ? 

 

En conclusion, je tenais à apporter tout mon respect pour les maires qui ont tenté de s’opposer ces derniers jours à la fermeture des commerces dit « non essentiels ». Ils ont eu le courage d’essayer de faire comprendre au Gouvernement qu’ils sont les mieux placés – au niveau local – pour apprécier la pertinence de ce qui doit être ouvert ou non, en fonction de leur bassin de population et de leur organisation des villes et des territoires. Encore faudrait-il qu’on leur propose des mesures lisibles qui ne détruisent pas mécaniquement leur tissu économique local depuis la capitale et la Silicon Valley.

Et surtout, esperons que la pression épidémilogogique baissera le plus rapidement possible. Que tout le monde puisse réouvrir, notamment les CHR, et accueillir ses clients correctement. 

Nelson